Atravers le destin d’hommes et de femmes, ils retracent l’histoire des camps de travail forcé dans “Goulags”, diffusé sur France 2. Menu Fermer Télérama - retour à la une
Texte remanié d’un travail de recherches présenté dans le cadre du séminaire de thèse sur “Ecrivains et politique” dirigé par Jean-Pierre Azéma et Michel Winock années 1990. Août 1936, André Gide, Jacques Schiffrin, Pierre Herbart, Eugène Dabit, Louis Guilloux et Elizabeth Van Rysselberghe. En relisant et remaniant ce texte préparé dans le cadre d’un séminaire de thèse, je ne peux m’empêcher de penser qu’on sent toutes les influences laissées par ma formation. Influences de mes lectures de l’époque, à commencer par les travaux de Christophe Charle, invité au séminaire cette année là. Influence de la “grille générationnelle” élaborée par des historiens de Sciences po ou liés à Sciences po le numéro de Vingtième siècle d’avril-juin 1989, “Les Générations”. Influences des sources enfin, contingentes de leur époque les écrits de l’intime et la presse dominent les archives soviétiques vont s’ouvrir peu après. De ce fait, on apprendra peu de choses nouvelles dans ce texte. Cependant, j’ai corrigé des erreurs d’interprétation concernant Louis Guilloux, en utilisant un travail plus récent et fondé sur des sources soviétiques. Le propos qui nous intéresse ici est d’essayer de mettre en valeur le rôle du “voyage en URSS dans les prises de positions politiques des écrivains engagés, comme on pourrait le faire pour le voyage français en Allemagne nazie ou en Italie fasciste 1. Cette introduction ne saurait donc être une présentation biographique des trois auteurs, même centrée sur l’année 1936. Il s’agit avant tout d’un essai d’analyse du rôle du “voyage en URSS” dans les années trente. Un “voyage” qui permet de lier écriture, parcours biographique et engagement politique2. Entre 1917 et 1939, plus de 200 textes liés aux voyages d’auteurs francophones paraissent en France. Certains sortent à compte d’auteur et connaissent une diffusion limitée, d’autres comme le Retour de l’URSS d’André Gide, sont de véritables succès éditoriaux. Pour la seule année 1936, on compte 18 publications chez des éditeurs confirmés. En 1937, quand Gide modifie son retour d’URSS, on en compte 19 ouvrages aussi divers que le Mea Culpa de Céline ou le témoignage d’un convaincu comme Jean Pons, communiste et membre des AUS association des Amis de l’URSS3 . En effet, après les années vingt qui sont celles des premiers visiteurs d’une “Russie soviétique” encore très fermée, l’URSS des années trente va organiser le voyage des étrangers pour en faire tout à la fois un moyen de propagande et un moyen d’attirer des devises étrangères. C’est l’époque de la création de l’Intourist 1929 et de la mise en place de circuits modèles pour trois jours, trois semaines voire parfois un ou deux mois. C’est un modèle très politisé qui vise à promouvoir un tourisme de masse. Affiche Intourist 1930 A partir de la fin des années vingt et du début des années trente, et encore plus pendant la Grande Terreur, le voyageur a de plus en plus de mal à prendre des contacts hors des circuits officiels pour se faire une idée de la réalité du quotidien soviétique. Les médiateurs soviétiques guides interprètes notamment se professionnalisent et sont formés pour répondre à la double-attente de la diplomatie culturelle soviétique et des voyageurs étrangers4. En effet, tout voyage est un enjeu politique. Il reste, même aux périodes fastes, l’apanage du petit groupe5 . Il oppose aussi deux “légendes” une “légende noire” et une “légende dorée”6. André Gide, Eugène Dabit, Louis Guilloux et les trois autres intellectuels Pierre Herbart, Jacques Schiffrin et le Néerlandais Jef Last qui voyagent en URSS durant cet été 1936, auraient dû être les ardents propagandistes de la “grande lueur qui s’était levée à l’Est” en 1917. Ils sont invités aux frais de la “princesse en guenilles”7. Ils partent ainsi pour ce qui aurait dû être, pour la diplomatie culturelle soviétique et le parti communiste français, un apogée de l’engagement gidien. Le séjour, on le sait, va se transformer en une intolérable “apostasie”Pour plus de détails sur ce séjour, on peut notamment lire la biographie de Frank Lestringant, André Gide l’inquiéteur, Flammarion, Grandes Biographies », t. I, 2011, ainsi que Sophie Coeuré, “Le voyage en URSS, un exercice de style”, in Véronique Jobert, Lorraine de Meaux, Intelligenstia. Entre France et Russie. Archives inédites du XXe siècle, Ecole nationale supérieure des Beaux-arts, 2012. Interroger l’engagement et le désengagement de ces trois écrivains doit aussi nous permettre d’aller à la rencontre de trois itinéraires individuels et d’établir des liens avec le voyage. Ce dernier fournit un motif d’écriture d’un ouvrage à André Gide, comme à Pierre Herbart. Cela ne sera pas le cas pour Louis Guilloux dont le cas est complexe. Le voyage aboutit aussi à la mort tragique d’Eugène Dabit en Crimée. Nous allons malgré tout nous efforcer de retracer ses impressions. Pour cela, il nous faut préalablement questionner l’engagement avant le voyage, en étudiant les trois itinéraires au moment de leur départ en URSS. Nous verrons ensuite le temps du voyage, qui cristallise à notre sens un “désengagement” déjà présent pour Gide du moins et provoque la publication du “Retour de l’URSS”. Pour Louis Guilloux le voyage aboutit à un “désengagement en mode mineur” plus complexe qu’il n’y paraît. Avant le voyage en URSS, un engagement à trois voix Stratégies de positionnement sur le champ littéraire On peut tenter une analyse socio-historique des positions de nos trois auteurs. Leur triple engagement est à peu près contemporain, et peut se décomposer en plusieurs périodes. La première est marquée par une intense réflexion et la recherche d’informations vis-à-vis de l’URSS entre 1927 et 1932-1933. Elle est suivie par une période d’engagement actif. En comparant l’engagement gidien à celui de Guilloux, Dabit ou d’autres intellectuels philosoviétiques, on ne peut qu’être frappé par son caractère tardif et paradoxal. Au moment où Gide prend fait et cause pour le communisme, il a depuis longtemps acquis une place de premier plan dans la vie littéraire française. Il s’agit donc, pour le parti communiste d’un ralliement de premier ordre et qui coïncide en partie avec la politique de “main tendue” aux intellectuels initiée au moment d’Amsterdam-Pleyel 1932-1933, après une période plus sectaire dans la fin des années vingt et au tout début des années trente. Les premières déclarations de Gide dans son journal peuvent être datées à mon sens du 13 mai 1931. S’agit-il de la date réelle d’une “prise de conscience” ? On ne peut évidemment le certifier, même si on retrouve la même chronologie dans le témoignage de Maria Van Rysselberghe. L’engagement public lui est précis, puisque Gide publie ses “Pages de journal” dans les numéros d’été de la Nrf de 1932. C’est à ce moment là que la gauche française découvre que Gide “aimerait vivre assez pour voir le plan de la Russie réussir, et les Etats d’Europe contraints de s’incliner devant ce qu’ils s’obstinaient à méconnaître“. L’engagement de Gide peut paraître paradoxal dans le sens où il est tardif8, mais aussi parce qu’on peut se demander ce que Gide recherchait dans son rapprochement avec les communistes. Inauguration de l’avenue Maxime Gorki à Villejuif – Paul Vaillant-Couturier, André Gide et Mikhaïl Koltsov le chef de la délégation soviétique le 30 juin 1935.Fondation Catherine Gide L’Humanité du 1er juillet 1935, p. 1 Comment expliquer le rapprochement d’un grand bourgeois » aux côtés des communistes ? Issu d’une famille bourgeoise, intellectuelle, parisienne et protestante, Gide s’est, pendant de longues périodes, tenu à l’écart de la politique même s’il s’est engagé aux côtés des Dreyfusards. Cela ne signifie pas pour autant chez lui un désintérêt de la chose publique ». De 1896 à 1900, il est ainsi maire d’un petit village du Calvados. Par la suite, il fut, à sa demande juré de la cour d’Assises de Rouen 19129. Enfin, même s’il s’agit avant tout de parler de littérature, on peut évoquer “les années 1916-1917 où se noue un dialogue complexe et spécieux entre Gide et Maurras”10. Dans les années vingt, sa véritable intervention politique » qui précède de peu et explique en partie son engagement aux côtés des communistes, est littéraire. C’est par le biais du champ littéraire qu’il choisit en effet de prendre des positions anticoloniales en publiant son Voyage au Congo 1927 et son Retour du Tchad 1928, deux récits d’une mission officielle en en 1925 et 1926. A présent, je sais, je dois parler » écrit-il dans son journal. Il présente un véritable réquisitoire contre la colonisation en Afrique qui va même entraîner un débat à la Chambre des députés. Son engagement communiste est d’abord également un engagement littéraire. Au début des années trente, on l’a dit, Gide est alors un des auteurs rangés parmi les plus grands de son époque en France, au même titre qu’un Charles Péguy ou un Paul Valéry. Comme eux, il a derrière lui la plus grande partie de son oeuvre littéraire. Il reste l’un des fondateurs et un des animateurs d’une revue qui fait autorité en la matière. Outre une fortune personnelle qui lui a toujours permis d’écrire sans autre souci que l’aboutissement du projet d’écriture, il est étonné de pouvoir dire à Maria Van Rysselberghe qu’il pourrait vivre de sa plume. Cette position lui permet donc de faire plus facilement des choix de vie audacieux comme faire accepter son homosexualité à travers la publication de Corydon en 1924 qu’ils soient personnels ou politiques. Si on suit cette grille sociologique, sa situation privilégiée sur le champ littéraire lui permet donc de se positionner de façon paradoxale dans le champ politique, et cela, en toute liberté, en accord avec son individualité, ses idées. L’itinéraire de Louis Guilloux est à première vue moins paradoxal », même s’il y a chez Louis Guilloux une ambiguité sociale » liée à ses origines et son parcours de vie. Ses origines sont d’une part populaire, et d’autre part, et, c’est aussi important, provinciale. Louis Guilloux, Louis Aragon, et André Gide à la Maison de la culture en décembre 1935 Louis Guilloux, Louis Aragon, et André Gide à la Maison de la culture en décembre 1935. Bibliothèques de Saint-Brieuc -Fonds Louis Guilloux C’est avec Jean Giono et Jean Guéhenno l’un des rares écrivains d’origine populaire à prétendre à une certaine célébrité dans les années trente. Il naît en effet à Saint-Brieuc dans un milieu d’artisans engagés. Son père est cordonnier et socialiste candidat SFIO aux municipales de 1909. Louis Guilloux enfant, baigne donc en partie dans un milieu d’extrême-gauche provincial et populaire. Bon élève, boursier il entre au lycée en 1912, il aurait pu profiter de cet instrument de promotion sociale qu’est l’école républicaine, s’il n’avait décidé à 16 ans de gagner sa vie. Il fait alors divers métiers et finit par émigrer » pour se fixer à Paris où il devient traducteur d’anglais pour L’Instransigeant. C’est en 1926 qu’il décide de s’engager dans le champ littéraire11. Il fréquente alors des écrivains comme Jean Grenier, rencontré à Saint-Brieuc pendant la guerre, Fernand Divoire qui dirige L’Instransigeant ou André Chamson. En 1927, il envoie le manuscrit de La Maison du peuple » à Daniel Halévy qui le transmet à Guéhenno qui dirige une nouvelle collection chez Grasset, où le livre va paraître Les Ecrits. En juin 1927, il obtient tout à la fois la bourse Blumenthal et un contrat mensualisé avec les éditions Grasset. Il dira lui même beaucoup plus tard En 1927, l’écriture est devenu mon métier. Cela l’est resté depuis. » Un travail d’écriture très large puisqu’il comprend plus d’une vingtaine d’ouvrages romans, pièces et essais, de nombreuses traductions de l’anglais ou de l’italien, des préfaces et de multiples textes parus dans des revues comme la Nrf, Esprit, Europe et surtout Commune. Il va aussi tenir brièvement la rubrique littéraire pour le quotidien Ce Soir jusqu’en août 1936. Bureau de Louis Guilloux dans sa maison du 13 rue Lavoisier à Saint-Brieuc où le couple emménage en 1932. site de la ville de Saint-Brieuc – Maison Louis Guilloux. Dans les années trente, Louis Guilloux est donc un écrivain et un écrivant qui parait largement reconnu dans le champ littéraire, sans être un auteur à succès. France Culture Louis Guilloux un dégradé de positions proprement politiques – avec Jean-Baptiste Legavre Cette ouverture rapide du champ littéraire à un homme qui en était doublement éloigné par ses origines sociale et géographique doit être analysée. Sans aller jusqu’à parler de stratégie littéraire, cette trajectoire peut néanmoins en partie s’expliquer par les choix littéraires de Louis Guilloux. En effet, lorsqu’il quitte Saint-Brieuc, il a conscience de la distance qui le sépare du monde littéraire parisien. Même si Louis Guilloux a par la suite cultivé son personnage littéraire de franc-tireur »12, dans ses souvenirs posthumes, publiés sous le titre L’Herbe d’oubli, il y a bien un malaise entre l’écrivain Guilloux et Louis Guilloux, le fils d’un modeste artisan breton. Il écrit Je sentais vivement que le hasard qui m’avait fait naître et grandir dans une petite ville de province à près de cinq cents kilomètres de Paris était responsable d’un immense retard dont j’étais la victime, mais en même temps, je me disais que le dommage pouvait se réparer, pour cela, il ne tenait qu’à moi, si j’avais le simple courage de profiter de la première occasion qui s’offrirait de prendre mon billet pour Montparnasse. »13 Jean-Baptiste Legavre dir, Louis Guilloux politique, PUR, 2016En couverture, portrait de Louis Guilloux par Eugène Dabit, 1935. Et, pour mieux pénétrer le microcosme » littéraire qui le fascine, il s’installe dans le quartier de Saint-Germain des Prés sur la Rive Gauche où résident les intellectuels. De 1921 à 1927, il s’intègre dans le groupe des Vorticistes » où il s’entraîne au métier d’écrivain. Le groupe méprise les surréalistes, les dadaïstes notamment pour leur aisance toute parisienne et parce qu’ils sont déjà en place. Mais cela ne suffit pas. Il ne faut pas oublier que Guilloux ne possède aucun titre universitaire ou scolaire, en dehors de son certificat d’études. Cela le marginalise au sein même de son groupe Jean Grenier est agrégé de philosophie, André Chamson est chartiste. Guilloux n’a jamais été un étudiant, et avant d’entrer à L’Intransigeant, il est d’abord échotier à L’Excelsior à cinq sous la ligne. C’est donc en choisissant de raconter son milieu social à travers ses romans, qu’il va intéresser les milieux littéraires et peu à peu s’y intégrer. Comme Giono ou Guéhenno, le fils du cordonnier de Fougères », commence donc sa carrière en racontant son enfance et l’univers d’artisans et de militants socialistes de son père. Un témoignage véridique qui, dans la fin des années vingt et le début des années trente, pourrait s’inscrire dans le courant prolétarien ou dans le courant du populisme d’André Thérive. Ce parcours et ces choix littéraires, vont donc logiquement de pair avec un parcours politique qui tente lui aussi de concilier des origines provinciale et populaire et l’accession au statut d’intellectuel. Pour le dire autrement, en s’engageant aux côtés du parti communiste, Louis Guilloux tente ainsi de résoudre l’ambiguité qui subsiste entre ses origines et un milieu intellectuel qui le fascine14. Dans la version publiée de ses carnets largement réécrits on le sait, comme dans ses premières oeuvres, on voit que Guilloux s’intéresse à la politique. Au début des années trente, il s’engage en Bretagne contre les ventes-saisies et dans des actions en faveur des chômeurs. Il n’y a cependant que peu de trace dans ses carnets publiés d’activités politiques particulières. C’est la reconnaissance littéraire qui va entraîner un engagement politique à l’échelle nationale. Dans la logique de son oeuvre, celui-ci se situe à l’extrême-gauche de l’échiquier politique. Pourtant, Louis Guilloux ne va jamais adhérer à un quelconque parti. Et son engagement politique parisien, est, me semble-t-il, toujours en retrait. Regards, 18 juin 1936, Gallica Mon hypothèse est donc celle d’un engagement sur un mode mineur, tout au moins au niveau parisien. En effet, si Guilloux est bien le secrétaire du premier Congrès mondial des Ecrivains pour la défense de la culture en juin 193515, s’il collabore activement à Commune, puis au journal Ce soir, son activité militante parisienne semble relativement modeste et très littéraire. Elle contraste avec ses engagements bretons. Il faut se rappeler que de 1935 à 1940, Louis Guilloux est responsable du Secours Rouge international pour les Côtes du Nord. Un engagement politique local très concret qui convient peut-être finalement mieux à Guilloux. A la fin de 1936, il quitte ainsi en quelque sorte Paris et les milieux littéraires parisiens pour renouer avec ses origines sociales », un peu “reniée” auparavant. D’où une oeuvre qui reste très ancrée dans une réalité provinciale tout en s’éloignant du modèle littéraire réaliste socialiste »16. On peut reprendre cette grille d’analyse pour Eugène Dabit qui a lui aussi des origines sociales modestes. On le sait, ses parents sont des au départ des ouvriers-employés parisiens sa mère est couturière puis concierge, son père est cocher-livreur. Mais Dabit est bien un enfant des quartiers populaires de Paris et non d’une petite ville provinciale Faubourgs de Paris. Cependant,allant même plus loin que Guilloux, alors qu’il est un bon élève, il refuse d’aller au delà du certificat d’études en 1912, souhaitant », avec l’approbation de son père, apprendre un métier. Il est donc, avant la guerre, apprenti dans un atelier de serrurerie où l’on fait la journée des dix heures »17. La guerre est évidemment une césure sur laquelle nous reviendrons. Démobilisé en décembre 1919, il décide de se consacrer à l’art, même s’il s’initie parallèlement à la littérature sous l’influence du peintre Christian Caillard, le neveu d’Henri Barbusse qu’il a rencontré en 1921. Il partage avec son ami, une même vision critique du désordre du monde et une conception sociale de l’art . 1922-1923 sont des années où il est devenu massier18. Ses parents possèdent alors l’hôtel au bord du canal Saint-Martin qui fera la célébrité de Dabit. Aquarelle d’Eugène Dabit, Ma femme. Vendue en 1961 par Bétarice Appia-Dabit. Revendue par Artcurial le 3 novembre 2009. En 1924, il se marie à Béatrice Appia, une artiste comme lui, rencontrée aux ateliers de la Grande-Chaumière. En 1925, tout en fréquentant le groupe des peintres du Pré Saint-Gervais » qui se retrouvent dans un atelier de Belleville19, il commence à écrire20. Même s’ils ont pour une partie d’entre eux été formés à Montparnasse, les artistes du groupe sont donc très éloignés de la Rive Gauche comme Dabit le souligne dans Faubourgs de Paris. Son entrée dans le champ littéraire ne peut donc qu’être progressive et, au départ, il occupe une position marginale. C’est en fait grâces à André Gide et à Roger Martin du Gard, qui vont lui servir de mentors littéraires et de guides, qu’il entre véritablement en littérature ». Après une première rencontre en février 1927, Dabit soumet à Gide le projet d’Hôtel du Nord. Ce dernier demande ensuite à Martin du Gard de corriger le manuscrit. Eugène Dabit, L’Hôtel du Nord, Eaux-fortes de Rémy Hétreau, Denoël, 1944. Comme Guilloux, sans surprise, Dabit entre donc en littérature en choisissant de se raconter, et en intéressant des écrivains d’origine bourgeoise par sa singularité. On le sait, le livre qui paraît chez Denoël en 1929 est un succès critique. Il est réédité en 1931 et paraît en feuilleton la même année dans Le Peuple du 15 au 19 juillet 1931. Dabit obtient également le 18 mai 1931, le premier prix populiste ». La parution de Petit-Louis en 1930 conforte sa position sur le champ littéraire, même si ce n’est qu’en 1932 qu’il obtient un contrat de trois ans chez Gallimard. Un contrat qui, si on se fonde sur sa correspondance avec Roger Martin du Gard, est particulièrement avantageux puisqu’il va lui permettre quelques temps de vivre de sa plume. Sa notoriété lui permet également, à partir de cette date, d’écrire des articles de critiques d’art, des reportages, des essais dans des périodiques de gauche comme Europe, Marianne, Regards, Vendredi, et Esprit, mais aussi dans Les Nouvelles littéraires, et même Paris-Soir et Gringoire21. Regards, 6 juin 1935Gallica Surtout après 1935, il a donc une position d’écrivain qui s’accompagne, pour des raisons d’abord financières, d’une position d’écrivant ». Quant à moi, je pense que j’aurais bientôt mes petits ennuis. Mon contrat avec Gallimard se termine en février. Je doute fort que Gaston Gallimard m’en refasse un aussi avantageux […] Il me donne 800 francs par mois. Mais mes livres se vendent à 2000 ou 2500 exemplaires, jamais plus. Ce qui, Pierre Bardel a fait le calcul, au prix de la collection Blanche 15 F. fait que la somme dévolue pour droits d’auteur aurait du être de 4000 ou 5000 F et non faites le calcul de 9600 F.»22. Malgré tout, comme Guilloux, Dabit est bien devenu un écrivain à part entière en 1936. Une position qui est liée à un choix littéraire qui s’accompagne assez logiquement d’un engagement politique aux côtés du parti communiste. Cet engagement lui apporte en effet une nouvelle reconnaissance sociale, sans pour autant lui fermer les portes de Gallimard qui publie à l’époque Aragon ou Nizan et qui compte dans ses rangs des employés communistes comme Brice Parain… Ce rapprochement se fait avant tout à travers des organismes liés aux intellectuels. En effet, après un court passage aux côtés du groupe des écrivains prolétariens, il adhère à l’AEAR en 1933 et multiplie les articles dans des organes de presse communistes ou proches du parti communiste. L’AEAR semble bien à l’époque le lieu où écrivains et artistes ont le sentiment de faire fusionner écriture et action politique. Une écriture qui se veut évidemment porteuse d’un message social. Dans son journal23, évoquant les discussions à l’AEAR, il écrit Je ne demande pas mieux que de m’engager. C’est ma voie naturelle que je suis ; je sens que je puis faire un travail utile et en fonction même de mes besoins d’artiste, de créateur, pour tout dire, qui ne sont pas autres que mes besoins d’hommes. » Dans les trois cas, les positions de nos écrivains sur le champ littéraire peuvent ainsi partiellement expliquer leur engagement politique. Pour Gide, il se fait “en toute liberté”, alors que pour Guilloux et Dabit, il paraît plus “contraint” tout en restant très cohérent avec leur itinéraire personnel et leurs choix littéraires. Trois générations d’écrivains Après 1932, Dabit, issu d’un milieu populaire et choisissant de le raconter, est logiquement favorablement accueilli par les intellectuels communistes français. Mais son itinéraire personnel et littéraire n’explique pas tout. Dabit est né en 1898. Il a donc 16 ans en 1914. Or, sur les conseils de son père, pour choisir son arme, il devance l’appel. Il devient ainsi un homme de la génération du feu » pour qui la guerre change brutalement beaucoup de choses. Le thème de la mort l’obsède. André Gide dans son article de la Nrf du 1 octobre 1936 rapporte que Dabit parlait de la mort sans cesse comme pour un inquiet besoin de la repousser en pensée. » Pierre Herbart évoque lui24 son sens aigu presqu’animal de la vie ». Une mort très présente dans son oeuvre et qui se rattache à cette expérience de la guerre25 Regards, 3 septembre 1936, article d’Eugène Dabit sur la guerre de 1914. Gallica La guerre provoque donc un sentiment pacifiste virulent qui, s’il peut le rapprocher des communistes toujours très antimilitaristes en 1932-33, aurait pu jouer de plus en plus en sens inverse en 1936. Proche d’un Roger Martin du Gard sur ce plan, Dabit s’engage donc lui aussi sur un mode mineur. Ainsi, par exemple, si en 1932 il participe à des réunions de l’ communiste à Paris, il refuse, l’année suivante, de faire partie du Comité contre la guerre et le fascisme. Il rapporte à ce propos dans son Journal26 un échange de lettres avec Barbusse, qui l’a nommé membre sans son accord. Ces réflexions sont signifiantes. Elle prouve sa volonté de conserver une liberté d’action, en particulier sur cette question du pacifisme. Je puis faire un bon écrivain, peut-être ; un politicien, un agitateur, un homme public, non … Pour Henri Barbusse toute l’activité est politique. Il importe plus d’être en accord avec moi, qu’avec lui. » Guilloux est lui né trop tard pour appartenir à la génération du feu » même s’il en est proche il est maître d’internat au lycée de Saint-Brieuc entre 1916 et 1918. Il n’appartient pas non plus à la génération de la crise des années trente qui trouve déjà en lui un homme mûr. C’est donc en quelque sorte un frôleur de génération qui ne semble pas bouleversé par la Révolution d’Octobre de 1917, au point de s’engager politiquement même si elle est importante dans son oeuvre. Cette absence de greffe générationnelle » peut-elle nous servir à expliquer son refus d’adhérer au parti communiste ? Gide, le plus âgé des trois fait partie de la génération qui se révèle intellectuel » au moment de l’Affaire Dreyfus. Il fait partie de cette France de la justice, des droits de l’homme et de l’égalité. C’est bien avant tout un Gide humaniste qui s’engage aux côtés des communistes. Selon ses propres mots, c’est d’abord la prise de conscience de l’injustice sociale qui l’amène à ce rapprochement. En 1932, il écrit Pourquoi je souhaite le communisme ? Parce que je le crois équitable et parce que je souffre de l’injustice, et je ne la sens jamais tant que lorsque c’est moi qu’elle favorise. » Il le répète en juillet 1933, toujours dans son Journal27 D’humeur et de tempérament, je ne suis rien moins que révolutionnaire. Au surplus, je n’ai personnellement qu’à me féliciter de l’état de choses. Mais, voyez-vous, ce qui me gêne ; c’est précisément à m’en féliciter … Cela fait encore partie de son argumentation en 1935, lors d’une réunion contradictoire de l’Union pour la vérité. L’engagement vu à travers les écrits intimes de l’écrivain Aussi, cet engagement gidien porte-t-il sans doute déjà les contradictions qui peuvent expliquer son rejet ultérieur. Un rejet qui se cristallise durant le voyage en URSS, mais dont on peut déjà suivre le cheminement dans son journal là encore. Ce dernier permet en effet de préciser l’évolution du rapport de Gide à l’idée communiste. Le temps fort de sa réflexion se situe durant l’année 1932. En juillet 193228 , il se dit obsédé par le problème de l’URSS et par le communisme. Cet état d’esprit persiste en 1933 où de nombreux passages témoignent de son admiration à l’égard de l’URSS, applaudissant » par exemple un discours de Staline. Deux groupes d’idées dominent sa réflexion. Il s’agit tout d’abord de concilier un communisme bien compris » avec un individualisme bien compris »29. Une perception très gidienne » et peu doctrinale du communisme30. Par ailleurs, Gide cherche dans le communisme ce qu’il n’a pu trouver dans le christianisme, c’est-à-dire un christianisme compris comme une religion de justice et de fraternité. Pour lui, en effet, le communisme n’aurait pas de raison d’être si le christianisme n’avait pas failli. »31 Il “s’exclame” ainsi en juillet 1932 Mais il faut bien que je le dise, ce qui m’amène au communisme, ce n’est pas Marx, c’est l’Evangile. » On retrouve cette argumentation à de multiples reprises. En juin 1933, il ajoute cependant En ce sens, l’on a parfaitement raison de parler d’une conversion ». Car tout comme celle au catholicisme, la conversion au communisme implique une abdication du libre examen, une soumission au dogme, la reconnaissance d’une orthodoxie. Or, toutes les orthodoxies me sont suspectes. » Cette suspicion ne va faire que s’accroître à partir de 1933-34, alors que, paradoxalement, Gide est de plus en plus sollicité pour participer à des meetings, des réunions et qu’officiellement il multiplie les témoignages favorables. On trouve de nombreux indices de ses réserves dans son journal . Ainsi en 1935, C’est aussi, c’est beaucoup la bêtise et la malhonnêteté des attaques contre l’URSS qui font qu’aujourd’hui nous mettons quelque obstination à la défendre. » Ou, cette phrase écrite un peu avant le voyage en URSS en 1936 La propagande de l’URSS n’est pas toujours très adroite c’est excusable seulement si l’on songe à la jeunesse du peuple russe, à la nouveauté de son effort. » On trouve également de nombreux signes de ses réserves dans les Cahiers de La Petite dame » Maria Van Rysselberghe. Par ailleurs, cette période d’engagement coïncide avec une période moins faste d’un point de vue littéraire. Dès la fin de 1930, il écrit Certainement, je ne suis plus tourmenté par un impérieux désir d’écrire. Le sentiment que le plus important reste à dire » ne m’habite plus comme autrefois et je me persuade au contraire que je n’ai peut-être plus grand chose à ajouter à ce qu’un lecteur perspicace peut entrevoir dans mes récits. » Si son journal reflète ses préoccupations et témoigne de ses nombreuses lectures, il prouve aussi que l’engagement politique de Gide le distrait » de son métier d’écrivain. Cet engagement politique, s’accompagne d’ailleurs de multiples voyages, parfois politiques, parfois purement récréatifs Sicile, Maroc, Allemagne, Suisse. Tout ceci détourne alors temporairement Gide du roman. Ainsi Geneviève commencé en 1931, est toujours en chantier au moment du voyage en URSS ! Au contraire, l’engagement politique parisien de Louis Guilloux coïncide avec la publication d’un roman souvent considéré comme son chef d’oeuvre » et pour lequel les communistes vont se battre pour le défendre32. Mais, si le roman évoque un départ en URSS du héros, il faut attendre l’après guerre, avec Le Jeu de Patience 1949 et Les Batailles perdues 1960 pour voir apparaître la période des années trente dans ses romans. Et, contrairement à Gide, Guilloux, on l’a dit, évoque peu son engagement dans ses carnets33. Il semble qu’il ne cherche pas à l’expliquer à tout prix. Ces carnets contiennent de multiples notes sur des sujets divers, de politique intérieure et extérieure. Il rapporte surtout des choses vues ou vécues dans la rue, en insistant sur la misère ouvrière et paysanne. Mais on a beaucoup de mal à reconstituer l’emploi du temps de l’écrivain en se fondant sur ses notes. Plus largement, L’Herbe d’oubli, texte inachevé il est vrai, fait peu de place à la période des années trente qui va de février 1930 au début de l’année 1936 elle ne couvre que 55 pages. Il n’y évoque pas le voyage. L’année 1936 est rapidement balayée en 12 pages, alors que l’année 1937, où Guilloux est retourné à Saint-Brieuc, est plus minutieusement évoquée en 75 pages. On voit Guilloux militer au quotidien à la tête du Secours rouge de la région briochine. Que dire de cette écriture intime relativement “ouatée” sur son engagement ? Témoigne-t-elle du relatif malaise de Louis Guilloux dans cet univers intellectuel parisien engagé ? Les notes de 1937 éclairent-elles finalement un désir plus ou moins conscient de se fondre à nouveau dans son groupe social d’origine, et de mettre sa vie en accord avec ses principes ? Pour Eugène Dabit, le Journal intime » est comme pour Gide l’occasion de faire le point sur son engagement. Est-il écrit pour être publié comme celui de Gide ? Difficile de trancher. Si en 1932, Dabit se proclame révolutionnaire, les réflexions, dès 1933-1934, ne montrent pas un militant confiant, mais un homme désabusé et pessimiste. Un pessimisme qui est d’abord la traduction d’un malaise personnel et de la peur de l’avenir. 8 mai 1935 En cas de mobilisation, je pars immédiatement et sans délai ». Je n’ai rien oublié de mes trois années de service militaire, de la guerre. Mais aujourd’hui, ma haine est plus forte, plus grand mon désespoir. C’est la nuit, celle de la mort, qui menace de nous envelopper tous. Oui, la haine… aussi le désespoir … Horreur, bassesse de tout un régime, d’une société hypocrite où se mêlent prêtres, financiers, industriels, généraux, qui trahissent les nobles idées, qui trafiquent. J’appelle de tous mes voeux la fin de ce monde. Elle viendra. Quand ? Ah, qu’importe ! Le résultat final ne fait aucun doute. Et, c’est dans le sang et d’abominables horreurs, que sombrera cette société – contre laquelle vivant, je ne cesserai de lutter avec les armes que m’a données le destin. » Le voyage en URSS, cristallisation d’un désengagement ? Récits de voyage Dès le début de son engagement public, Gide va être sollicité pour partir en URSS par des communistes comme Ilya Ehrenbourg en 1933, ou comme Aragon et bien sûr Aleksandr Arosev, le directeur de la VOKS en 193534. Gide est bien avec Romain Rolland ce que l’on pourrait appeler le plus beau fleuron de la “politique de main tendue” aux intellectuels. Ainsi, en juin 1933, dans les colonnes de Russie d’Aujourd’hui, la revue des Amis de l’URSS, on répond à un ouvrier qui s’étonne d’entendre parler de Gide dans des colonnes communistes. On lui explique que depuis quelques années celui-ci se rapproche de plus en plus de l’URSS ». Et, ajoute le chroniqueur, c’est sans contredit, l’écrivain le plus écouté, le plus célèbre de France… Un homme d’une sincérité insoupçonnable. Son adhésion, son courage dans la défense de l’URSS sont l’indication certaine que les cercles intellectuels ne purent décidément, s’ils veulent penser honnêtement, continuer à croire en la légitimité du capitalisme … Mesurez alors, l’importance de ses déclarations, l’appui énorme qu’il donne à l’URSS et au marxisme. » Le philosoviétisme de Gide aurait en effet dû être couronné par un voyage triomphal dans la patrie des travailleurs. Toutes ses demandes aboutissent finalement au projet de l’été 1936 après plusieurs tentatives infructueuses dont une avec Roger Martin du Gard en 1935 – refus de ce dernier. On peut suivre en détail la préparation du voyage à travers les journaux et les carnets de nos écrivains, à travers les cahiers de “La Petite Dame”, et, en partie, à travers des archives soviétiques. Parmi les grands et sincères amis de l’URSS votre nom est certainement un des plus populaires et des plus estimés dans les plus larges milieux des travailleurs soviétiques. Vous connaissant et appréciant hautement d’après vos œuvres, vos idées et actions qui vous mettent à l’avant-garde des intellectuels français de gauche, les travailleurs soviétiques seraient certainement très heureux de pouvoir entrer en contact direct avec vous, de vous montrer leurs dernières réalisations culturelles, sociales et économiques et de pouvoir mettre à profit vos appréciations et suggestions personnelles à ce sujet. C’est pourquoi nous nous faisons leurs interprètes fidèles, en vous faisant connaître leur plus cordial désir de vous voir en URSS auquel nous nous joignons très chaleureusement aussi bien au nom de la Société pour les relations culturelles VOKS » qu’en notre nom personnel. Aussi permettez-moi de vous adresser par la présente lettre notre plus amicale invitation de venir visiter notre pays où vous serez un des hôtes les plus bienvenus et les mieux accueillis aussi bien par la Société VOKS » que dans tous les milieux soviétiques les plus larges. Il va sans dire que vous n’aurez nullement à vous préoccuper des conditions de votre séjour chez nous qui sera entièrement organisé par nous. Quant aux détails, futures visites et rencontres, nous les fixerons définitivement d’un commun accord dès notre première entrevue à VOKS. »35 Selon Maria Van Rysselberghe, après le refus de Roger Martin du Gard, Gide avait abandonné l’idée du voyage. Mais la ténacité des “Stalinist westernizers”36 va payer, puisqu’au printemps 1936, la petite équipe se constitue très rapidement. Autour de Gide en effet, six intellectuels ont été comme lui officiellement invités en URSS. Il y a tout d’abord Pierre Herbart37, rencontré en 1927. C’est le gendre de la Petite Dame et le mari d’Elisabeth Van Rysselberghe elle aussi présente en URSS, la mère de Catherine Gide. Les deux hommes s’estiment et s’entendent très bien. Herbart qui est communiste est en fait parti vivre à Moscou en novembre 1935 pour diriger l’édition française de la revue La Littérature internationale UEIR – Union internationale des écrivains révolutionnaires . Il prend ainsi la relève de Paul Nizan. Au début du mois de juin 1936, il part de Moscou pour aller chercher Gide et l’accompagner en URSS38. Pierre Herbart, Fondation Catherine Gide Il y a aussi Jacques Schiffrin, l’éditeur de la Pléiade qui fait partie de l’équipe Gallimard et que Gide connaît depuis le début des années vingt39. La venue de cet intellectuel né à Bakou en 1898 et qui a fui la Révolution d’Octobre en, 1917, va d’ailleurs poser le premier problème du voyage. La Petite Dame, dans ses notes du 31 mai 1936, écrit Il parait que la présence de Schiffrin est considérée comme plutôt indésirable. Aragon a commis la gaffe d’écrire officiellement que Gide arriverait en URSS avec Schiffrin comme interprète ce dont on s’est froissé, comme d’une défiance. » Gide doit alors convaincre Aragon du mauvais effet qu’aurait le refus de sa présence. Sur un bateau sans doute sur la mer Noire de gauche à droite Jef Last de profil, Louis Guilloux, André Gide, Jacques Schiffrin et Eugène Dabit. Eté 1936. Pour le communiste néerlandais Jef Last, ami de Gide depuis 1934, il n’y a par contre pas de problème. La Petite Dame le décrit comme un marin hollandais, écrivain, emballant savoureux, ironique à travers un français impossible. »40 Jef Last Portrait de couverture de son livre en néerlandais sur la guerre d’Espagne. Dabit quant à lui fait partie du petit cercle gidien depuis qu’il est venu demander des conseils littéraires à Gide en 1927. On trouve dans son journal de multiples références témoignant d’une admiration sans borne à l’égard de son aîné Je revois André Gide. Joie. Et de sa part, si simple, si affectueuse. … J’ai trouvé en lui, un artiste, un intellectuel, qui toutefois n’a pas cessé d’être un homme, l’est plus et mieux aujourd’hui. … Et combien il me donne confiance sur la route que je dois suivre ! Comme il l’éclaire. »41 Campagne pour le “Sang noir” de Louis Guilloux en décembre 1935. Louis Guilloux n’est par contre pas un intime de Gide. Si celui-ci a suivi une des conférences publicitaires » liées à la sortie du Sang noir en 1935, il ne semble pas le connaître personnellement. C’est vraisemblablement par l’intermédiaire de Malraux, qui passe quelques jours à Saint-Brieuc à la fin de l’année 1935, que Guilloux va faire partie du voyage. Si Gide fait mine d’apprécier l’écrivain breton dans ses lettres où il l’appelle Mon cher Guilloux » et semble être tout heureux de cette admirable occasion de vous se revoir et longuement »; la réciproque n’est pas vraie. Dans ses carnets du 28 janvier 1936, en évoquant la soirée où Gide l’invite à partir avec lui en URSS, Guilloux écrit Je ne puis pas dire que je me sente avec lui, très à mon aise. »42. Voici pour les personnages, reste le voyage. En fait, tous ne partent pas en même temps. Gide s’est occupé pour tous des passeports et des visas, mais il accélère les préparatifs du fait des nouvelles alarmantes concernant la santé de Gorki qu’il voudrait rencontrer. Il prend donc l’avion au Bourget le 16 juin, et livres à la main, arrive le lendemain à Moscou, via Berlin. Gide sortant d’un avion – Juin 1936 à Berlin ?Fondation Catherine Gide Jef Last, Jacques Schiffrin, Dabit et Guilloux partent de Londres où ils ont assisté à la Conference de l’Association internationale des Ecrivains pour la Défense de la Culture entre le 19 et le 23 juin 1936. Ils s’embarquent à bord du bateau soviétique Cooperatzia, qui, en cinq jours les conduit à Leningrad où ils sont accueillis par Gide. Eugène Dabit et André Gide sur le bateau sur la mer Noire – 1936Fondation Catherine Gide On peut arriver à reconstituer le voyage en URSS en lisant le Journal de Gide, le Retour de l’URSS, complété par le récit de Pierre Herbart, le journal intime de Dabit et les notes de la Petite Dame43. Le programme qui s’étale sur plus de deux mois retour le 24 août n’est pas très surprenant. Affiche fait datant des années 60. Après Moscou et Leningrad, toute la petite équipe part en effet pour le Caucase qu’ils traversent en partie en voiture route touristique panoramique en passant par Ordjonikidzé redevenue depuis Vladikavkaz, Tiflis où, le 30 juillet, Schiffrin et Guilloux regagnent la France. Ils prennent cependant aussi le train, dans un wagon spécial comportant un salon et des couchettes aménagées spécialement pour l’occasion44. Les autres continuent vers Batoum, Soukhoum Soukhoumi et Sotchi. Le 12 août, à Sotchi, Dabit est pris de coliques et de fièvres. Ils prennent malgré tout le bateau pour traverser la mer Noire. Le 17, ils arrivent à Sébastopol. Le 21 août, Eugène Dabit transporté d’urgence à l’hôpital meurt du typhus du typhus dans la soirée. Gide et Guilloux dans le wagon aménagé pour eux. Fondation Catherine Gide. Comme tous les voyageurs officiels, et sans doute plus que les autres, Gide et ses compagnons sont reçus dignement. Ils sont en effet assurés de deux choses durant ce séjour de confort et de gloire. Voyage en URSSEugène Dabit, André Gide et Pierre Herbart. Après le départ de Guilloux et Schiffrin le 30 juillet ?Cahier de photographies offert en URSS “A notre cher et noble ami André Gide”.Fondation Catherine Gide. Rien à voir avec le Voyage au Congo où même la remontée du fleuve Congo en première classe est considérée par Gide comme une épreuve. A Moscou, c’est une suite de six chambres qui est mise à leur disposition dans l’hôtel Métropole. Sur la mer Noire, à Soukhoum, il dispose même de la chambre allouée à Staline en personne. Ils se plaignent également d’une trop grande abondance de nourriture qu’on tente de leur faire passer pour l’ordinaire des Soviétiques Excellent déjeuner à l’hôtel Astoria, à Leningrad. J’entends Gide féliciter nos hôtes de la parfaite cuisine et de la composition du menu. - Ce qui est remarquable, camarade Gide, […] c’est que tout le peuple mange ainsi désormais. »45 Herbart se livre alors à un calcul qu’il communique aux autres en leur montrant que le prix du repas par personne correspondant au salaire moyen d’un ouvrier, soit 200 roubles par tête. Brochure Intourist Crimée 1934 La gloire » est elle aussi au rendez-vous. Tout a été prévu pour que partout Gide soit accueilli triomphalement. A son arrivée, il commence par être porté sur les épaules des employés de l’aérodrome. Cette chaleur, perçue comme très slave », ces contacts humains, même dans son Retour de l’ Gide en conserve un souvenir ému. Il est vrai que la diplomatie culturelle soviétique sait habilement jouer des récompenses symboliques réservées aux amis de l’URSS. Tout est soigneusement préparé. Comme ces banderoles qui se déroulent dans les gares à chacune de leur arrivée. En fait, elles suivent les voyageurs dans le même train qu’eux. Comme ces photos qui sont distribuées à des milliers d’exemplaires. Tous les faits, les gestes et les paroles de Gide sont soigneusement retransmis tout au long de voyage par la presse soviétique, même dans les régions où ils ne mettent pas les pieds. Il s’agit bien là de propagande extérieure, mais aussi de propagande intérieure. Voyage en URSS – André Gide, Pierre Herbart et Eugène Dabit dans une voiture en extraite du cahier offert “A notre cher et noble ami André Gide”. Fondation Catherine Gide. Ils sont bien sûr étroitement surveillés et soumis à un programme dense, avec de multiples cérémonies et visites sur le modèle soviétique visites de kolkhozes, d’usines, mais aussi de musées, de crèches, de camps de pionniers. On les emmène au cinéma, au théâtre, au concert. Ils prennent contact avec la jeunesse universitaire, les gens de lettres seul moment un peu plus libre » du voyage peut-être, quand Gide est invité dans les datchas d’Isaac Babel et de Pasternak. Il y a aussi les multiples parades officielles de la première, funéraire, où Gide prononce un discours pour l’enterrement de Gorki, à la parade de gymnastes qui remplace, durant l’été, les défilés des cérémonies commémoratives de la Révolution d’Octobre. Discours d’André Gide aux funérailles de GorkiJuin 1936 – Derrière Gide, Viatcheslav Molotov. Détail d’une photographie. Photographe inconnu RGAKD. Funérailles de Maxime Gorki – Film Images C’est bien une mise en scène en forme de livres d’images où Gide et ses compagnons doivent admirer la belle vitrine de la réalité soviétique. André Gide avec des pionniers à la gare de Biélorussie en 1936. Photographe inconnu. RGAKFD. Ils sont en partie conscients de la surveillance à laquelle ils sont soumis. Gide renonce ainsi à prendre des notes durant son voyage. Ils sont aussi frappés, comme d’autres voyageurs avant eux, par ce qu’on ne peut leur cacher les queues, la pénurie et la mauvaise qualité des marchandises qu’ils découvrent en se promenant autour de leur hôtel. A Tiflis, ils sont constamment suivis par des bezprizornis qui mendient… En effet, au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de Moscou le contrôle de leurs guides est plus “maladroit”. Les rencontres “non-officielles” se multiplient, comme celle où, lors d’une panne de leur Lincoln en plein campagne, ils entrevoient un paysan famélique sur le bord de la route. Enfin, la fin du voyage est tragique et assombrit le climat du voyage. Que pensent-ils de la mort de Dabit, soigné trop tardivement et mal d’un typhus on avait d’abord diagnostiqué d’autres maladies dont la scarlatine, sans doute attrapé sur le bateau sur la mer Noire ? Leur retour rapide sur Moscou Gide, Last et Herbart laissent Dabit à l’hôpital de Sébastopol coïncide de surcroît avec le procès des 1646. Les trois hommes s’envolent même de Moscou le jour où Zinoviev et Kamenev sont condamnés à mort. On a pu se demander pourquoi Gide, qui d’après son Retour de l’ avait bien ressenti un profond malaise, a pu continuer à multiplier les déclarations en faveur de l’URSS pendant tout son voyage. Il faut cependant les nuancer. Quand il le peut, il évite les thèmes directement politiques, préférant, comme dans sa préface, évoquer la chaleur du peuple russe ou de parler la beauté de la Colchide en Géorgie mais si Gide est botaniste, la lettre est malgré tout adressée à Béria. Il ne multiplie pas non plus les références à l’autre grand Géorgien, croisé à l’enterrement de Gorki et qu’Arosev s’est efforcé en vain de lui faire rencontrer en tête à tête47. Malgré tout, sachant très bien que les Soviétiques tireraient parti de ses discours, il reste très prudent durant son séjour. Ce voyage est évidemment dominé par la figure de Gide qui est au centre de toutes les attentions des médiateurs soviétiques. Ses compagnons sont finalement un peu plus libres de leur mouvement. Si on laisse Gide avoir des aventures, c’est Herbart qui parle russe qui rencontre un jeune bezprizorni à Leningrad ou un poète opposant sur le bateau sur la mer Noire. Les autres n’ont pas à faire de discours emphatiques et sont souvent dispensés des cérémonies officielles. Guilloux et Schiffrin peuvent également repartir plus rapidement. Si on se fonde sur le journal de Louis Guilloux, c’est en apprenant le début de la guerre d’Espagne que ce dernier se décide à rentrer. Mais ce qu’il a vu de l’URSS ne le pousse pas à rester… Désengagements Malgré toutes les précautions prises par les officiels soviétiques, on le sait, ce voyage n’est pas une réussite pour la propagande soviétique. André Gide une rupture Le voyage cristallise un désengagement net pour Gide, officialisé par la publication du Retour de l’ L’écrivain, on l’a vu, était cependant devenu de plus en plus critique vis-à-vis de l’URSS avant même le voyage de l’été 36. Par ailleurs, quand, au début du mois de juin, Pierre Herbart est venu en France pour le conduire à Moscou, il a sans doute pu entretenir Gide de ses points de discorde à l’égard de la politique soviétique. Correspondant de La Littérature internationale, Herbart avait notamment assisté à la querelle entre formalisme et naturalisme et à l’affirmation du réalisme socialiste ». Le contrôle sourcilleux sur tout ce qui était publié dans la revue ne laissait place à aucun doute. Un an après le voyage, il écrivait Le réalisme en URSS, c’est avant tout trouver bon ce que les dirigeants ont cru nécessaire d’éditer. »48. Gide, qui dès le début de son engagement doutait de pouvoir un jour écrire selon des normes communistes, n’avait pu qu’être sensible à cette évolution. Le voyage va ainsi aboutir à un point de non retour. En effet, Gide rentre convaincu qu’il lui faut témoigner de ce qu’il a réellement vu en URSS la réalité, fut-elle douloureuse ne peut blesser que pour guérir » proclame la manchette publicitaire de son récit de voyage ! Pourtant, Gide ne pense sans doute pas qu’il va être banni par une partie de la gauche intellectuelle française, au delà même des rangs des intellectuels communistes. Ses positions sont cependant de plus en plus claires. On peut se fonder à nouveau sur le témoignage de “La Petite Dame” datant du début du mois de septembre Je commence par le procès de Moscou qui est pour moi la fissure qui laisse passer tous les doutes. Mais oui, oui », dit Gide, C’est aussi odieux que le procès du Reichstag, c’est la même chose, et cela pose des questions terribles. » » Le lendemain de cette conversation, toujours selon Maria Van Rysselberghe, la visite de Jacques Schiffrin ouvre toutes les écluses ». La réflexion qu’il conduit avec les uns et les autres l’amène à penser Je voudrais mieux sérier les questions. S’agit-il du communisme, du Russe, de Staline, ou de l’Homme tout court ?» […] Tout cela est, aux yeux de tous, si bien confondu qu’il n’y a plus de moyen de parler clair ; la notion de parti est terrible et supprime toutes les nuances. » Dans ses conversations avec Gide, Schiffrin conclue Au fond le communisme n’existe plus là-bas, il n’y a plus que Staline. »49. Concrètement que reproche Gide à l’URSS. Pour rédiger son carnet de route » il a été aidé par Pierre Herbart qui va finir par publier son propre récit en 193750. La première mouture du Retour de l’ date du 23 septembre, soit un mois après le voyage. Son jugement est concis et s’éloigne du simple récit de voyage pour faire figure d’essai. Après plusieurs corrections celles de Schiffrin, de la Petite Dame, d’Herbert et de Guilloux. Le livre est finalement publié le 5 novembre 1936. Il est dédié à Dabit comme étant les reflets de ce que j’ai vécu et pensé près de lui, avec lui. » Ce qui choque Gide par dessus tout c’est que l’URSS n’a pas su préserver la liberté et l’individualité de l’homme. Concrètement, il évoque les problèmes de pénurie, mais aussi le conformisme social et stigmatise la bureaucratie. On connaît sa phrase fameuse51 quand il dit douter qu’en aucun pays aujourd’hui, fût-ce dans l’Allemagne de Hitler, l’esprit soit moins libre, plus courbé, plus craintif terrorisé, plus vassalisé » qu’en URSS. Il dénonce aussi le culte de la personnalité, évoquant par exemple la censure de ses propres déclarations et l’insertion de textes de louanges à Staline dans ses articles ou la traduction de ses discours. Il attaque aussi la nouvelle législation contre l’avortement et l’homosexualité. Des critiques justes qui vont évidemment porter et qui sont pour lui comme une libération. Il ne croit de toutes évidences plus à la possibilité de concilier sa personnalité avec le communisme soviétique et “s’en libère”. J’émets l’hypothèse que cette libération » va ensuite faciliter son retour à l’écriture littéraire et lui permettre d’achever enfin Geneviève. Eugène Dabit la mort au bout du voyage Dabit aurait-il aussi fait oeuvre de témoin s’il n’était pas mort en URSS ? Il nous reste son Journal intime publié par Gide de façon posthume52. Selon le témoignages de ses compagnons, Dabit comme les autres, et peut-être plus encore que Gide, est profondément déçu par ce voyage. Cependant, une phrase du journal, écrite le 25 juillet, donc un peu moins d’un mois avant sa mort, semble résumer son opinion vis-à-vis de l’URSS J’écrirais peu sur ce voyage. S’il le faut à mon retour. … Quant à parler de la doctrine, du système, il n’en est pas question. Entre plusieurs qui sont proposés aux hommes, entre fascisme et communisme, je n’hésite pas, j’ai choisi le communisme, quelles que soient les réserves que puissent m’inspirer ce voyage, je m’en tiens fermement à mon choix. » En fait, Dabit est comme Guilloux sous le choc des événements d’Espagne qui éveillent en lui inquiétudes et souvenirs ». De toutes parts, presque dans le monde, luttes, haines. En France, demain, c’est sûr. Alors quoi, comment vivre. » Inhumation des cendres de Dabit au Père Lachaise le 7 septembre 1936. Marcel Cerf – Bibliothèque historique de la Ville de Paris. En septembre 1936, lors de l’inhumation de ses cendres au Père Lachaise53, les communistes tentent pourtant de donner l’image d’un Dabit séduit par l’URSS. Cinq milles personnes assiste à la cérémonie où Paul Vaillant-Couturier et Aragon prennent notamment la parole. Gide note dans son journal L’assistance était nombreuse ; gens du peuple surtout et en fait de littérateurs, rien que des amis dont le chagrin était réel. […] Les discours de Vaillant-Couturier et d’Aragon ont présenté Dabit comme un partisan actif et convaincu. Aragon, en particulier, a insisté sur la parfaite satisfaction morale de Dabit en Hélas !… » Regards, 17 septembre 1936. Article d’Aragon évoquant la parade sportive à laquelle il a assisté à Moscou avec Gide, Guilloux et “notre cher Eugène Dabit”. Louis Guilloux critiques “silencieuses” Les mêmes signes de prise de conscience critique apparaissent chez Louis Guilloux, même si, comme pour Dabit, la prudence et le silence dominent. L’engagement philosoviétique de Guilloux est surtout littéraire. Il faut dire que son bout de chemin » avec le parti communiste lui permet de publier de nombreux articles dans la presse communiste ou Or, à l’automne 1937, il note dans ses carnets Si j’avais la moindre envie d’écrire pour le public, quelque chose » sur mon voyage en URSS avec Gide, ce ne sont pas les procès de Moscou, ni la guerre d’Espagne qui m’y inciteraient. » Dans les carnets qu’il a fait publier, il faut attendre 1938 pour voir apparaître de véritables signes de désaveu à travers l’anecdote d’un Géorgien qu’un Russe empêche de lire en public des vers interdits. On le sait, il lui est publiquement impossible d’écrire contre Gide, ce qui lui vaut son renvoi de Ce Soir fin août 1937, où il était en charge de la rubrique littéraire, et cela en dépit des démarches pressantes d’Aragon et de Jean-Richard Bloch. Pourquoi ? C’est Gide qui l’a fait inviter en URSS… Malgré tout, c’est un refus courageux, car le renvoi met fin à un salaire qui tombait tous les mois en lui fermant les portes du quotidien communiste. Un salaire dont il avait besoin, ses droits d’auteur ne lui permettant pas de vivre de son travail. La dimension matérielle a sans doute joué un rôle important pour la suite. Cela le pousse à rentrer en Bretagne où il s’engage encore plus dans l’action au sein du SRI briochin pour soutenir les réfugiés espagnols. En décembre 1935, c’est pourtant le même Guilloux qui écrivait au correspondant de l’agence Tass en France Cher Camarade, […] Que souhaitez vous [sic] pour l’URSS, pour l’année 1936, me demandez vous ? Il est difficile de dire ce que l’on souhaite le plus particulièrement, quand on souhaite dans tous les domaines, sans exception, encore plus de succès, encore plus de réalisations et de force ! Je souhaite donc que l’année 1936 marque une nouvelle étape dans le triomphe du socialisme, c’est-à-dire dans le triomphe de la vie. Je suis avec l’URSS de tout mon cœur, je salue avec enthousiasme sa jeunesse où s’incarne tout espoir du monde vivant. L’année 1936 sera sans doute décisive dans la lutte mondiale qui se joue entre la vie et la mort. A tout ce qui veut vivre et défend la vie, salut ! Fraternellement à vous Louis Guilloux»55 En fait, les archives soviétiques prouvent qu’il n’y a pas eu de rupture franche, même après son exclusion de Ce Soir. Il n’a certes jamais écrit de véritable récit de voyage » en URSS, mais il continue après le voyage de publier des textes très élogieux dans la presse communiste. On peut notamment citer ses articles pour Russie d’aujourd’hui, la revue des AUS, l’un sur la jeunesse, publié en novembre 1936 et un autre dans un numéro spécial qui regroupe des intellectuels communistes ou des sympathisants le 15 mars 1937. On peut aussi évoquer la publication de son hommage à Dabit pour Commune, où il ne fait pas davantage part de ses réserves Depuis le début du voyage, nous n’avions cessé de parler de ce retour, qui eût été comme un couronnement éblouissant au périple qui nous avait menés de Londres à Léningrad, de Léningrad à Moscou, puis en Géorgie … […] C’était un compagnon facile, rieur, à qui le voyage, et surtout celui-ci, donnait un grand bonheur. Il rêvait depuis long- temps de voir ce pays neuf et vivant ! Il avait tant de joie à le parcourir. Nous nous sou- viendrons, me disait-il, ce voyage changera tout pour nous. […] Dans un camp de pionniers, près de Léningrad, je le revois bouleversé, pleurant d’émotions au milieu des enfants. […] Et quand je pense à ce que nous étions à leur âge, et à ce qu’on fait pour eux, ici, ah !… »56 Sa relation avec l’URSS ne s’interrompt donc pas après son voyage. Et, encore plus surprenant, même après août 1937, il continue de publier en URSS et de correspondre avec l’Union des écrivains, et cela jusqu’au début de l’été 193957 Comment expliquer ces contradictions ? Avec Louis Guilloux, il faut aussi se souvenir des incohérences inhérentes à ses origines sociales et son statut d’intellectuelJean-Charles Ambroise, Un roman du désengagement. Les fins du militantisme dans le Jeu de patience », in Jean- Baptiste Legavre dir., Louis Guilloux politique, PUR, 2016, p. 83-107. Des discordances apparentes sur le champ littéraire parisien, que le retour en Bretagne et l’engagement dans l’action collective permet en partie de résoudre. La posture composite de Guilloux qui dépend autant d’un double positionnement social et littéraire, que d’un contexte idéologique et d’une conjoncture matérielle, souligne dans tous les cas l’inadéquation des termes trop simples de lucides » ou aveuglés », utilisés pour qualifier l’attitude des compagnons de route » vis-à-vis de l’URSS ou du PCF. »58 Une lecture diabolisée A partir de novembre 1936, et même avant démarches d’Aragon, entre autres, les communistes vont tenter de lutter contre Gide et ce qu’il dit dans son Retour de l’ Gide est devenu un “renégat” qui, en dépit de la guerre d’Espagne l’argument utilisé par Aragon pour tenter de retarder la publication ose dire du mal de l’URSS “au moment où celle-ci a le plus besoin d’être soutenue” ! Mais, d’abord surpris, les communistes n’en viennent à l’exclusion totale et à la grosse artillerie qu’avec la publication du Retouches à mon retour de l’ 1937 Tous les arguments, même les plus vils, sont utilisés. On insinue que la publication répond à une âpreté au gain le Retour s’est vendu à 146300 exemplaires entre sa publication et septembre 1937, avec 8 réimpressions. On évoque son homosexualité “déçue”, voire du masochisme André Wurmser dans Russie d’aujourd’hui. Fernand Grenier, préface de Jean Lurçat, Réponse à André Gide, AUS, 1937. Pourtant, en lisant les 73 pages du Retour de l’ on est aujourd’hui frappé par la prudence du ton de l’avant-propos, ou par les premiers chapitres où l’écrivain évoque les aspects idylliques du voyage, la beauté du pays et la chaleur de l’accueil. Mais dans le détail, les communistes ne s’y sont pas trompés, sa critique est sans pitié et elle sera encore plus virulente dans l’opus suivant. Gide sait qu’il n’a plus rien à perdre… L’écrivain disparaît ainsi des organigrammes communistes. Selon une technique éprouvée, il est, en tant qu’adversaire, non seulement vilipendé, mais plus encore nié en tant que personne. De L’Humanité à la Pravda, de Ce Soir à Commune, tous les journaux le dénoncent. Même Romain Rolland, pourtant déçu par son voyage de 1935, parle d’un livre médiocre59. L’association des Amis de l’URSS AUS, dont la mission principale est la défense de l’URSS, va sans doute mener la bataille la plus active contre Gide. André Wurmser et Fernand Grenier, son secrétaire général, livrent plusieurs articles dans Russie d’Aujourd’hui. Dès novembre 1936, ils mettent aussi en place des conférences contradictoires contre l’écrivain et éditent une brochure en 1937. Si au départ, leurs critiques restent réservées, laissant penser à un malentendu temporaire, la publication du Retouches à mon retour de l’URSS libèrent les vannes. Gide est alors définitivement passé du côté des ennemis de l’URSS qui, comme Citrine, Trostky, Victor Serge, Kléber Legay… sont selon les AUS capables des pires mensonges pour arriver à leurs fins. Gide est alors devenu un pestiféré pour une partie de l’intelligentsia progressiste. Revue de presse autour du Retour de l’URSS Du côté de l’entourage de Gide, on peut évidemment compter sur la défection prévue d’Aragon ou celles des Groethuysen, tandis que Roger Martin du Gard l’approuve et que Malraux ne désapprouve pas. L’écrivain se replie sans doute davantage sur un réseau plus ancien de sociabilité, qu’il n’a cependant jamais quitté. Plus graves sont peut-être les conséquences au sein de Vendredi, le magazine de Front populaire, où la controverse interne autour du livre fait partie des raisons qui expliquent le déclin du périodique politique. Chamson a en effet accepté de publier l’avant-propos du Retour le 6 novembre. Par la suite, Vendredi fait le silence sur la polémique. Et quand Nizan, Wurmser et d’autres tempêtent, Chamson fait finalement marche arrière, perdant ainsi le soutien de l’autre camp. Fin 1937, il se rallie même aux positions plus intransigeantes de Viollis ou Guéhénno. Il est vrai que Gide a aggravé son cas en se joignant à Duhamel, Martin du Gard, Paul Rivet, pour lancer un appel au gouvernement républicain espagnol contre les procès arbitraires des membres du POUM. Gide a même utilisé Claude Mauriac pour faire signer cet appel à François Mauriac. Le Retour, et donc le désengagement officiel de Gide, n’est pas la première rupture, ni le premier récit de voyage contre l’URSS. Il marque cependant bien un certain tournant. 60. C’est la fin d’une certaine euphorie contagieuse qui régnait jusque là largement à l’égard de l’URSS. Une rupture qui s’inscrit, il est vrai, dans le contexte international des “procès de Moscou” et dans celui de la Guerre d’Espagne. Une rupture qui se situe aussi dans le contexte de divisions de plus en plus fortes au sein de la gauche française du Rassemblement populaire. Aussi est-il difficile d’en mesurer l’impact véritable. Pour les écrivains cependant, c’est aussi un tournant personnel. Gide retourne à la littérature se détachant ainsi de la politique. Pour Dabit, c’est évidemment plus difficile de trancher. Entre ce qu’affirme Gide et ce que révèle le journal intime, on a surtout l’image d’un homme pris entre le désarroi et l’angoisse. Sa position pacifiste semble dominer l’ensemble de sa réflexion… Mais… Pour Guilloux enfin, le voyage est l’un des méandres du cours complexe de l’histoire de ses rapports aux communistes et à l’URSS. Il marque un premier désengagement parisien qui lui permet de quitter un milieu littéraire où il ne se sentait sans doute pas totalement à l’aise, et de se délivrer temporairement de toute ambiguité sociale. Mais il ne marque pas une véritable rupture avec l’URSS et le communisme. Celle-ci devra attendre la Guerre froide. Dans tous les cas, le voyage reste bien un moment clé de l’itinéraire des écrivains philosoviétiques des années trente et un enjeu politique de premier ordre. A ce sujet Frédéric Sallée, Sur les chemins de terre brune Voyages en Allemagne nazie 1933‑1939, Fayard, 2017 ; Christophe Poupault, À l’ombre des faisceaux les voyages français dans l’Italie des chemises noires 1922-1943, Publications de l’École française de Rome, 2014 ; Alexandre Saintin, “Des intellectuels français à la rencontre du Duce et du Führer”, Vingtième siècle, Revue d’histoire, N° 1, 2017, p. 83-97 [↩]A ce titre on se permet de renvoyer notamment à Rachel Mazuy, Croire plutôt que voir. Le voyage français en Russie soviétique, Odile Jacob, 2002, 2014 pour l’édition électronique et à Studer Brigitte, Le voyage en et son retour » », Le Mouvement Social, 2003/4 no 205, p. 3-8. DOI URL [↩]Jean Pons 1901-1942. Professeur agrégé d’histoire. Militant communiste du Vaucluse puis au Maroc. Jean Pons, L’Éducation populaire en URSS, AUS, 1937 [↩]Sophie Coeuré, Rachel Mazuy, Cousu de fil rouge. Le Voyage des intellectuels en Union soviétique- 150 documents des archives soviétiques, Ed. du CNRS, 2013 [↩]J’estime à environ le nombre de Français en URSS séjournant entre 1917 et 1944. Mais ce nombre comprend ceux que j’ai appelé dans ma thèse des “voyageurs malgré eux”, notamment les prisonniers français des deux guerres. En dépit de l’augmentation du nombre de touristes dans les années trente, ce ne sont qu’un peu plus d’un millier de visas qui sont délivrés à des Français dans les années fastes”. Pour des chiffres plus détaillés de “ceux qui ont vu”, cf. Sophie Coeuré, Rachel Mazuy, Cousu de fil rouge, op. cit. [↩]Fred Kupferman, Au pays des soviets, Le voyage français en Union soviétique, Gallimard, 1979 [↩]L’expression vient de Panaït Istrati et date de 1927. [↩]On peut penser à l’appel signé entre autres par Anatole France ou Romain Rolland en 1917 [↩]Souvenirs de la Cour d’Assise, 1913 [↩]Eric Marty, [↩]Sur la construction du “romancier Louis Guilloux”, on peut lire l’ouvrage de Sylvie Golvet, Louis Guilloux. Devenir romancier, PUR, 2010 [↩]Sur cette figure de style utilisée par Guilloux après la guerre, on peut voir Alexandra Vasic, “Salido, Louis Guilloux et le parti rendre compte ou régler ses comptes. Une condamnation en sourdine”, in Jean-Baptiste Legavre, Louis Guilloux politique, PUR, 2016 [↩]L’Herbe d’oubli, Gallimard, 1984 [↩] A ce sujet voir les travaux de Jean-Charles Ambroise, notamment “Une trajectoire politique”, in Francine Dugast-Portes, Marc Gontard, Louis Guilloux écrivain, PUR, 2000. J’avais au début des années 1990 consulté le DEA de Jean-Charles Ambroise [↩] Le congrès international des écrivains s’ouvrent demain à Paris », Regards, 20 juin 1935 [↩]Guilloux subit d’abord assez tardivement le rejet des prolétariens et des populistes, non pas de manière individuelle, mais en tant que membre d’un groupe. En effet, sa langue est soignée, et les personnages sont davantage des artisans que des ouvriers, et on aurait sans doute un peu de mal à reconnaître en eux des hommes nouveaux sur le modèle soviétique [↩]Faubourgs de Paris, p. 74 [↩]Dans les écoles d’art et d’architecture, c’est un élève élu par ses condisciples pour les représenter et pour assurer diverses tâches, notamment gérer les finances communes de la classe ou de l’atelier. [↩]Christian Caillard, Béatrice Appia, Emile Sabouraud, Georges-André Klein, Maurice Loutreuil, Pinchus Krémègne ou Jean de Brunhoff qui a épousé Cécile Sabouraud, la fille de son ami Emile Sabouraud en 1924 [↩]Un Séjour [↩]Avant l’engagement à l’extrême-droite du périodique. [↩]Lettre à Roger Martin du Gard du 12 novembre 1935, Roger Martin du Gard, Correspondance générale. Tome VI, Gallimard, 1990 [↩]22 novembre 1932. Eugène Dabit, Journal Intime 1928-1936, Gallimard, 1989 [↩]En 1936, Gallimard, 1937 [↩]Cf le poème J’ai été soldat à 18 ans » [↩]27 septembre 1933 [↩]André Gide, Journal, Gallimard Pléiade, p. 1174 [↩]Ibid, p. 1140 [↩]27 juin 1932 et août 1933 [↩]Cf. Ibid, p. 1113 [↩]Ibid [↩]On peut citer la chronique d’Aragon dans Commune en septembre 1935 par exemple [↩]Nous n’avons cependant pas consulté la version intégrale déposée à la bibliothèque de Saint-Brieuc [↩]VOKS Société pour les relations culturelles avec l’étranger. Cf. Cousu de fil rouge…, op. cit., Documents 54 et 55 [↩]Cousu de fil rouge…, op. cit., document 54, lettre d’invitation d’Aleksandr Arosev à André Gide 1935 [↩]Selon l’expression de Michael David-Fox dans son article ” Stalinist Westernizer? Aleksandr Arosev’s Literary and Political Depictions of Europe”, Slavic Review, 2003 [↩]Sur Pierre Herbart, on peut lire la biographie de Jean-Luc Moreau, Pierre Herbart, L’orgueil du dépouillement, Grasset, 2014 [↩]Rachel Mazuy, “Pierre Herbart en URSS”, Revue Nord, N° spécial Pierre Herbart, N° 37, juin 2001, p. 17-23 [↩] André Gide — Jacques Schiffrin, Correspondance 1922-1950, Avant-propos d’André Schiffrin. Édition établie par Alban Cerisier, Collection Les Cahiers de la NRF », Gallimard, 2005. [↩]Sur Jef Last, on peut voir le documentaire “L’ami hollandais” de Pieter Jan Smit datant de 2005. [↩]Eugène Dabit, Journal intime, op. cit., janvier 1934 [↩]Carnets, op. cit., p. 125 [↩]Il n’y a pas d’archives soviétiques complètes sur ce voyage ni au GARF – VOKS, Intourist, ni au RGALI – Union des écrivains [↩]On peut en fait comparer leur voyage avec celui, assez proche de Jean-Richard et Marguerite Bloch, durant la fin de l’été 1934. Ils disposaient aussi d’un wagon aménagé [↩]Pierre Herbart, En 1936, Gallimard, 1937 [↩]Le procès dit du procès dit du Centre terroriste trotskyste-zinoviéviste » du 19 août 1936 au 24 août 1936, dans le cadre des procès de Moscou ». Il concerne des cadres dirigeants de la vieille garde bolchevique. [↩]Cousu de fil rouge, op. cit., préface de Sophie Coeuré [↩]Pierre Herbart, En 1936, Gallimard, 1937 [↩]Pour les deux paragraphes qui précédent Maria Van Rysselberghe, Les Cahiers de la Petite Dame. Notes pour l’histoire authentique d’André Gide, tome II 1929-1937, Collection Cahiers André Gide n° 5, Gallimard, 1975 [↩]En 1936 [↩]Journal, p. 67 [↩]Ce dont Guilloux s’indigne d’ailleurs dans ses carnets, car il s’agit de notes personnelles qui n’ont pas été retravaillées ! [↩] [↩]Jean-Charles Ambroise, Louis Guilloux et les années trente un auteur décalé ? », Louis Guilloux, homme de parole, Ville de Saint-Brieuc, 1999, p. 47. Pour un récit détaillé de cet engagement, cf. Christian Bougeard, Le parcours et les engagements de Louis Guilloux dans les enjeux de son temps 1930-1950 », in Francine Dugast-Portes, Marc Gontard dir., Louis Guilloux, écrivain, PUR, 2000, p. 31-46. [↩]RGALI Archives d’Etat de Russie de la littérature et de l’art 1347-3-86, Carte de vœux recto-verso, 18 décembre 1935. Envoyée à Boris Danilovitch Mikhaïlov 1895- ?, le correspondant en France de l’agence TASS et de la Pravda. [↩]Louis Guilloux, Eugène Dabit », Commune, octobre 1936. [↩]Pour le détail de ses liens, analysés à partir d’une correspondance déposée au RGALI, on se permet de reporter à Rachel Mazuy, Une histoire à méandres. Louis Guilloux et la presse communiste », in Jean-Baptiste Legavre, Louis Guilloux et la presse, PUR, à paraître [↩]Ibid [↩]Pravda, 11 janvier 1937 et Jean Pérus Ed., Correspondance Romain Rolland et Maxime Gorki, Cahier N° 28, Albin Michel, 1991 [↩]Sophie Coeuré, La Grande lueur à l’Est. Les Français et l’Union soviétique, Ed. du CNRS, 2017 [↩]
Retourà l’accueil. Monde La Chine envisagerait de mettre fin aux camps de travail forcé. Partager sur Messenger; Partager sur Facebook; Partager sur Twitter; Partager sur Flipboard; Partager
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Cesystème de camps destinés à enfermer (ou interner) les opposants réels ou supposés du Parti Communiste d'Union Soviétique fut dénoncé par l'un des plus grands écrivains soviétiques du XXème siècle: AlexandreIssaïevitch Soljenitsyne (1918 - 2008).Des témoignages et études sur les camps de travail forcé en URSS apparaissent dès la fin des années 1920 La solution à ce puzzle est constituéè de 6 lettres et commence par la lettre G CodyCross Solution ✅ pour CAMP DE TRAVAIL FORCÉ EN URSS de mots fléchés et mots croisés. Découvrez les bonnes réponses, synonymes et autres types d'aide pour résoudre chaque puzzle Voici Les Solutions de CodyCross pour "CAMP DE TRAVAIL FORCÉ EN URSS" CodyCross Croisière Groupe 646 Grille 2 1 1 Partagez cette question et demandez de l'aide à vos amis! Recommander une réponse ? Connaissez-vous la réponse? profiter de l'occasion pour donner votre contribution! CODYCROSS Croisière Solution 646 Groupe 2 Similaires Lafamille Imiłkowski a partagé le destin de milliers de polonais vivant dans les territoires annexés par le Troisième Reich qui étaient soumis aux exécutions de masse, aux déportations, à l'emprisonnement dans les camps de concentration et au travail forcé. Le récit de la famille Imiłkowski est avant tout l'histoire d'enfants abandonnés qui se retrouvent confrontés à la
Publié3 avril 2018, 0723ChineLes camps de travail forcé, une horreur» qui perdureAu mépris des droits humains, il y aurait actuellement entre 5 et 8 millions de prisonniers» chinois dans des camps concentrationnaires.Image d'illustration Les prisonniers sont jugés en général en 2 ou 3 minutes avant d'être envoyés dans les camps. Mardi 3 avril 2018AFPPékin avait annoncé en 2013 l'abolition des camps de travail forcé en Chine, triste héritage des années Mao. Quatre ans après, ces camps existent toujours, selon Jean-Luc Domenach, expert de la question. Bafouant droits humains et du travail, ils contribuent largement à faire tourner l'économie du pays.Le système punitif chinois repose encore et toujours pour l'essentiel sur les camps de travail forcé», explique dans un entretien à l'ats ce professeur français de sciences politiques et spécialiste de la Chine, notamment de son système livre publié en 1992, Chine l'archipel oublié», est considéré comme l'une des recherches les plus importantes sur les camps concentrationnaires chinois. Sa vaste enquête y révélait l'étendue du plus grand système de détention du monde. Il prépare actuellement un nouveau livre sur le sujet, prévu pour de 1000 camps au totalIl y a aujourd'hui entre 5 et 8 millions de prisonniers dans près de 1000 camps de travail forcé», affirme Jean-Luc Domenach. Selon ses dernières recherches, il y a environ 750 laogai» camps de réforme ou rééducation par le travail» et entre 100 et 200 laojiao» camps d'enseignement par le travail».Les laogai» concernent surtout les prisonniers politiques et de droit commun. Ce système de camps avait été créé par Mao Tsé-Toung et a longtemps été considéré comme l'équivalent du goulag soviétique. A la fin des années 50, les laogai» ont emprisonné jusqu'à 20 millions de personnes, selon le professeur laojiao» regroupent les peines pour la petite délinquance crimes mineurs, petits vols et trafic de drogues. Il y a aussi des camps spéciaux, notamment pour les jeunes, les drogués et les en 2 ou 3 minutesDans les deux types de camps principaux, les prisonniers, jugés en général en 2 ou 3 minutes, sont livrés à des travaux terriblement durs, lourds et longs contre une rémunération dérisoire. Autant dire qu'il s'agit de vol de travail», affirme M. une main-d'oeuvre presque gratuite qui sert à tout construction de routes, de ponts, de logements, de voitures, mais aussi de toutes sortes de produits commerciaux fabriqués à la chaîne et à bas prix, cite-t-il en exemples. Ces camps de travail passent des contrats avec des entreprises et souffrent aussi de graves problèmes de corruption, explique l' mécaniques, vêtements, décorations de Noël, jouets, raquettes et balles de ping pong, thé noir, etc autant de produits que l'on retrouve dans les rayons de magasins occidentaux, notamment en France et en Suisse, et qui ont été directement fabriqués dans des camps de travail, au fouet», selon l'expression du spécialiste. Un marché qui pourrait se chiffrer en milliards, selon les enquêtes sur le occidentaleSi ces camps de travail sont moins atroces» en 2018 que durant la période maoïste des années 50, ils restent néanmoins une horreur» qu'il faut continuer à faire connaître et dénoncer, souligne M. Domenach. Aujourd'hui, il s'agit plus d'exploiter économiquement le travailleur forcé que d'éliminer des prisonniers politiques, dissidents ou hautement criminels, regrette par ailleurs l'indifférence des gouvernements occidentaux par rapport à ces camps de travail forcé, moteur de l'économie chinoise. Il constate que malheureusement peu d'accords de libre-échange avec Pékin mentionnent cette spécialité les prisons noiresEnfin, d'autres lieux de détention extrajudiciaire en Chine inquiètent Jean-Luc Domenach les prisons noires. Il s'agit d'hôtels, d'appartements, de caves ou de bureaux désaffectés transformés en prisons illégales par les pouvoirs locaux.La loi autorise la police locale, provinciale ou nationale à enfermer et retenir pour deux fois six mois des personnes, essentiellement des intellectuels et avocats, critiquant le pouvoir communiste. Entre 20 et 30'000 personnes seraient actuellement concernées», selon ses récentes de mention des camps de travail dans l'ALE avec PékinEn Suisse, à l'époque de la signature de l'accord de libre-échange ALE entre la Chine et la Suisse, une plate-forme de cinq ONG avait défendu bec et ongle la question des droits humains pour ce traité bilatéral. Elle avait notamment insisté sur la situation dans les camps de travail forcé. Aucune mention n'y de cinq ans après la signature de l'accord 6 juillet 2013 et quatre ans après son entrée en vigueur 1er juillet 2014, Thomas Braunschweig se dit toujours très déçu de la politique suisse» dans ce contexte. Responsable du dossier chinois à Public Eye, il déplore l'attitude peu courageuse du Conseil fédéral, qui n'a même pas osé mentionner les mots droits humains» dans l' lui, le chef du Département fédéral de l'économie DEFR Johann Schneider-Amman avait promis de faire figurer les droits humains dans le préambule du traité. Une promesse jamais ignoréesL'ALE avec la Chine est donc très en deçà de tous les accords conclus récemment par la Suisse, dont le préambule contient au moins une référence aux droits humains et à la Déclaration universelle. Visiblement, la Suisse leur accorde un poids différent selon le partenaire de négociations, avaient critiqué à l'époque les ONG suisses regroupées dans la Plateforme Chine».Celle-ci avait insisté pour que l'ALE contienne des dispositions contraignantes concernant le respect des droits humains et des normes du travail. En vain. La plupart de ses revendications avaient été le Département fédéral des affaires étrangères DFAE était ouvert aux question des droits humains, ce n'était pas le cas du Secrétariat d'Etat à l'économie SECO des services de M Schneider-Amman, se souvient M. Braunschweig. Le SECO a clairement influencé le Conseil fédéral», dit-il, critiquant une posture idéologique inflexible».ats
Commel’écrit fort justement Dominique Colas, chez Lénine, « la violence est la vérité de la politique, son condensé, le révélateur des rapports de force, l’épreuve où se séparent révolutionnaires et opportunistes, l’ordalie matérialiste ». « La force seule, affirme Lénine, peut résoudre les grands problèmes historiques ». De Moscou à Magadan, en Sibérie, le cinéaste Michaël Prazan et la chercheuse Assia Kovrigina ont sillonné la Russie. A travers le destin d’hommes et de femmes, ils retracent l’histoire des camps de travail forcé dans “Goulags”, diffusé sur France 2. C’est à la fois une enquête historique et un voyage, qui commence à Moscou et s’achève aux confins de la Sibérie orientale dans l’étrange beauté de la Kolyma, la région la plus redoutée de l’archipel du goulag. L’acronyme, qui signifie administration principale des camps », le documentariste Michaël Prazan La Passeuse des Aubrais ; Einsatzgruppen, les commandos de la mort et la jeune universitaire Assia Kovrigina, petite-fille d’un zek le nom donné aux travailleurs forcés, ont choisi de l’écrire au pluriel pour intituler leur film ambitieux, s’attachant à montrer les multiples visages du système de terreur soviétique, mis en place dès Lénine. Cette investigation d’une ampleur rare croise les lieux, les destins broyés par la machine de répression, et fait surgir des paysages et des consciences ses empreintes oubliées. A l’histoire du goulag répond ainsi le cheminement de sa mémoire, qui connaît en Russie une résurgence inattendue. Comment l’idée de ce film vous est-elle venue ?Michaël Prazan Assia et moi nous nous sommes rencontrés à Kiev en 2011, lors d’un colloque sur les massacres de Babi Yar, le plus grand massacre par balles de la Shoah, perpétré en 1941 en URSS. Elle m’a poussé à m’intéresser à l’histoire du goulag, m’incitant à lire Varlam Chalamov, le plus grand écrivain des camps de la Kolyma, qui a vécu dix-sept ans dans cet enfer. J’ai pris conscience qu’il existait une vraie lacune dans la transmission de cette question en Europe occidentale je ne connaissais que deux films sur le goulag, alors que le nombre de ceux sur la Shoah est considérable. Les chaînes françaises n’avaient pas une appétence considérable pour ce sujet, mais une fenêtre s’est ouverte avec les commémorations de la révolution Kovrigina J’ai grandi en Sibérie, dans une ville construite par les zeks cernée de fosses communes. Les enfants étant souvent fascinés par la mort, il nous arrivait avec mes camarades de jeu de chercher des ossements. A l’école, nous étudions Chalamov, Soljenitsyne… L’histoire du goulag a eu, fatalement, une très grande influence sur moi. Comment s’est imposée la forme d’une enquête à travers la Russie ?M. P. Nous voulions donner une image authentique, qui ne passe pas par une expertise extérieure. Nous allons sur les lieux, près des gens, pour montrer les différentes formes qu’a prises le système de répression soviétique. J’ai demandé à Assia d’apparaître à l’écran pour incarner un fil rouge. C’est une jeune femme d’aujourd’hui, qui ne livre aucune lecture idéologique ou politique de cette période. Elle permet, dans un sens, de combler l’éloignement tant chronologique que K. Nous avons commencé par l’évocation de mon grand-père, Samuel Shna­pir, journaliste à la Pravda déporté au goulag, pour accrocher le téléspectateur, suggérer que cette période sombre n’est pas si lointaine. Nous souhaitions que l’histoire du goulag s’incarne à travers des personnages, des destins. Le film, riche d’images d’archives saisissantes, permet de mesurer à quel point l’histoire du goulag et son iconographie restent méconnues du grand public…M. P. La prédominance du Parti communiste notamment en France, mais aussi dans de nombreux pays d’Europe jusqu’à la chute de l’URSS en 1991, n’a pas permis de voir clairement ce qui se passait. Souvenez-vous de l’impact, à la fin des années 1990, de la publication du Livre noir du communisme de Stéphane Courtois. Lorsque la chape de plomb s’est levée, il était trop tard l’intérêt pour ces événements lointains s’était émoussé. Le film tend à montrer que les camps constituaient un aspect de la terreur, mais pas le seul. “A Moscou, [on] fabriquait sur commande des listes de personnes à arrêter en fonction des besoins en main-d’œuvre.” Michaël Prazan, réalisateur Il y a eu, très tôt, des exécutions de masse. Il m’a semblé important de souligner, même de façon non explicite, des proximités avec le processus d’extermination nazi. La deuxième partie du film est consacrée à un versant tout aussi méconnu du goulag, qui a été l’instrument du projet d’industrialisation stalinien et d’une vaste entreprise coloniale. Le but était l’extraction des matières premières des territoires hostiles de l’Extrême-Orient russe. Les zeks étaient exploités comme le bois de chauffe » de cette conquête avec un cynisme sans limite. A Moscou, le NKVD [organisme d’Etat chargé de combattre le crime et de maintenir l’ordre public », ndlr] fabriquait sur commande des listes de personnes à arrêter en fonction des besoins en main-d’œuvre dans la Kolyma, qui regorge d’or et d’étain. Le film met en lumière un retour de la mémoire du goulag dans la Russie d’aujourd’hui. Comment l’expliquer ?M. P. Il existe en effet un sursaut mémoriel qui s’étend jusqu’au sommet de l’Etat. J’ai été surpris de découvrir le beau musée du Goulag, à Moscou, et le fait, par exemple, que des baraquements menacés de destruction allaient être classés monuments historiques. Pour le pouvoir, il s’agit en réalité d’accompagner, d’une façon habile, un mouvement de société profond et inévitable, la répression en Union soviétique ayant touché un nombre considérable de personnes. Il n’y a pas une famille qui ne soit d’une manière ou d’une autre concernée. Le pouvoir a fait en sorte d’intégrer cette page sombre et clivante dans le grand roman national russe, qui est déjà pétri de K. A Magadan, la capitale de la Kolyma, cette histoire est très vivante car les habitants vivent au milieu des vestiges. A quelques rares exceptions près, ce sont des particuliers qui essaient de conserver cette mémoire, comme cet homme qui a installé un petit musée dans son salon. Le film montre, aussi, les ambivalences de cette mémoire…A. K. Les familles ont désormais le droit de consulter les dossiers judiciaires de leurs proches — comme je l’ai fait pour mon grand-père —, et elles découvrent que les dénonciateurs sont des cousins ou des amis. Cela constitue un choc et n’est pas sans nourrir le malaise de la société russe d’aujourd’ P. Au cœur de Magadan, on trouve une statue en hommage à Edouard Berzine, qui a fondé la ville et dirigé le camp de la Kolyma. Il fut en quelque sorte le bourreau en chef » lorsque l’exploitation de la région, par le travail forcé, a été mise en place. Mais il reste considéré comme un grand homme, et a été lui-même exécuté lors des gran­des purges de 1937-1938… En Union ­soviétique, rien ne vous préservait du goulag. Vous aviez beau être un communiste fanatique, avoir une position prestigieuse dans l’appareil d’Etat, on pouvait du jour au lendemain frapper à votre porte et vous déporter à l’autre bout du continent sans raison établie… C’est aussi cette contradiction qui se traduit dans la mémoire. On sait que la révolution mange ses propres enfants, mais l’on sait moins que les directeurs, les architectes du goulag ont souvent ­fini par subir la répression. Par ailleurs, ces camps, où se sont retrouvés les plus grands écrivains et artistes soviétiques, ont vu émerger d’invraisemblables ruches » de créations culturelles, qui con­trastent avec la perception qu’on peut en avoir ici. Entendre Antonina Novosad, une des dernières survivantes de la Kolyma, dire qu’il y avait du mauvais et du bon » paraît surprenant, mais cela reflète la complexité de cette réalité. Ces lieux de mort ont ­aussi été, paradoxalement, des lieux de vie. Goulags, mardi 2 avril à 23h10 sur France 2. Russie goulag Michael Prazan Assia Kovrigina Partager Contribuer Sur le même thème . 50 87 118 116 32 2 37 62

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